Par hasard ce matin, au rayon bouquinerie, je détache un ouvrage plein de poussière des rayons où s'alignent les bien reliés pour les bibliothèques soignées ou tape-à-l'oeil. Moi ce qui m'a plu c'est son nom en lettres dorées ALBERTINE SARRAZIN. Peut-être la seule chose qu'elle a eu de cette couleur brillante. Je prends le livre. Combien ? Un euro. Pas cher ma pauvre Albertine !
Et je lis, page 18 de La Traversière
"J'avais fait filer en lieu sûr, à mesure que je les rédigeais, les éléments d'un manuscrit traitant évidemment de la vie en prison, et je comptais me les faire expédier chez mother; mais je vais aller les récupérer immédiatement, mes paperasses : j'ai trop tremblé pour elles, en les écrivant, en les trimbalant sur moi jour et nuit, en les confiant à un avocat qu'au fond je connais à peine.Si mon désir d'écrire remonte à l'enfance, il ne s'est pas concrétisé par les moyens ordinaires : l'inspiration, l'imagination, le silence, les litres de gros rouge entonnés devant une machine à écrire d'occasion, les pelouses folles d'une résidence secondaire où l'on médite, allongée toute vacante en suçant les herbes, le milieu des gens de lettres, le grave bureau à dossiers, téléphone et fétiches, connais pas. L'imagination ? Je n'en ai pas. Le tout-France littéraire ? Je l'ignore et il me le rend bien. Le matériel ? Un papier de cantine entraînant le Bic entraînant les doigts entraînant les mots. Autour de moi étaient le merveilleux et le sordide, le temps volé à reconquérir d'urgence, l'oubli instantané à gagné de vitesse, le rien à arracher au néant. J'ai essayé d'en parler, le soir, de traduire le creux des heures sous l'ampoule nue ou le vasistas maigre."Edts Jean-Jacques Pauvert, 1966
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