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samedi 27 février 2010

Je l'aimais bien Albertine...

Albertine qui ? Sarrazin. Albertine Sarrazin. Elle était loin d'être la bien polie, le bien honnête, la bien assise dans la société mais avec ses mots crus, ses colères, ses rancoeurs elle a su décrire la vie de taularde, traduire le rejet et l'incompréhension.

Par hasard ce matin, au rayon bouquinerie, je détache un ouvrage plein de poussière des rayons où s'alignent les bien reliés pour les bibliothèques soignées ou tape-à-l'oeil. Moi ce qui m'a plu c'est son nom en lettres dorées ALBERTINE SARRAZIN. Peut-être la seule chose qu'elle a eu de cette couleur brillante. Je prends le livre. Combien ? Un euro. Pas cher ma pauvre Albertine !

Et je lis, page 18 de La Traversière

"J'avais fait filer en lieu sûr, à mesure que je les rédigeais, les éléments d'un manuscrit traitant évidemment de la vie en prison, et je comptais me les faire expédier chez mother; mais je vais aller les récupérer immédiatement, mes paperasses : j'ai trop tremblé pour elles, en les écrivant, en les trimbalant sur moi jour et nuit, en les confiant à un avocat qu'au fond je connais à peine.
Si mon désir d'écrire remonte à l'enfance, il ne s'est pas concrétisé par les moyens ordinaires : l'inspiration, l'imagination, le silence, les litres de gros rouge entonnés devant une machine à écrire d'occasion, les pelouses folles d'une résidence secondaire où l'on médite, allongée toute vacante en suçant les herbes, le milieu des gens de lettres, le grave bureau à dossiers, téléphone et fétiches, connais pas. L'imagination ? Je n'en ai pas. Le tout-France littéraire ? Je l'ignore et il me le rend bien. Le matériel ? Un papier de cantine entraînant le Bic entraînant les doigts entraînant les mots. Autour de moi étaient le merveilleux et le sordide, le temps volé à reconquérir d'urgence, l'oubli instantané à gagné de vitesse, le rien à arracher au néant. J'ai essayé d'en parler, le soir, de traduire le creux des heures sous l'ampoule nue ou le vasistas maigre."

Livres - La Traversiere Edts Jean-Jacques Pauvert, 1966

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