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mercredi 2 février 2011

Présent ?

Auteur : Jeanne Benameur
Edition Denoël, 2006


Dans un collège de banlieue. Quelques lignes puisées du roman P. 74-5

C'est la fin de la récréation. Dans les bouches des élèves, les chewing-gums roulent des mots embaumés de salive. Un reste.
Ils se regroupent devant le numéro de leur classe peint en blanc sur le sol, ne se mettent plus vraiment en rangs. A l'intérieur des bouches des élèves il y a des sons, encore, mêlés aux arômes acidulés qui lèvent comme une pâte, éclatent, chuintent contre les gencives... les mots sont perdus. Avortés en bulles qui claquent, s'effondrent au coin des lèvres.
Le chewing-gum mâche les heures qui passent.
Menthe, fraise, coca, une barrière élastique à la rage qui s'accumule.
Comment rester des heures et des heures, assis, sans rien comprendre de ce qui se dit, quand on a quinze ans? Comment ne pas éclater quand on sait qu'on n'y arrive pas? Et pourquoi on n'y arrive pas quand, l'autre, le copain, à côté, écrit tranquillement les réponses aux contrôles, comme si c'était naturel et qu'il dira, C'était facile...
Dans la bouche de l'élève qui ne sait pas, le chewing-gum tente de rameuter les mots appris la veille, revus le matin : la leçon. Mais la leçon ne colle pas aux dents. Dommage ! Elle a glissé dans un coin obscur de la mémoire. Elle se terre. L'élève est aux aguets. S'il est interrogé, c'est la fin. Pourtant il la savait, ce matin! Qui le croira ?
Quand les élèves quittent la récréation, les chewing-gums doivent quitter toutes les bouches, c'est le réglement intérieur, avant l'entrée en cours, mais ils sont là, cachés sous les langues, collés aux palais, prêts à reprendre leur rôle sporadique de cache-misère.

Quelle belle écriture et que de souvenirs...


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